Les Amis d’Al-Rowwad

Exposition : Abdul Rahman Katanani, l’artiste palestinien qui se joue des barbelés jusqu’au 13 janvier 2018

Les travaux de ce jeune Palestinien vivant dans le camp de réfugiés de Sabra, au Liban, sont à découvrir à la galerie Magda Danysz. Parcours entre installation et représentations.

C’est une œuvre de 16m de long. Une installation où l’on pénètre avec un peu de crainte. Des fils électriques pendant ça et là. Des matériaux de récupération, murs de rues ou enceintes de maisons vous enserrent. L’espace se rétrécit dangereusement jusqu’à arriver dans une zone où des miroirs se font face à face, réfléchissant à l’infini ceux qui y passent. La foule des visiteurs devient alors les va-et-vient dans les venelles de ce qui est un camp comme le suggère le titre de l’œuvre. Ou serait-ce une cage - les miroirs sont placés dans des cadres noirs et rigides - c’est à dire que l’espace est restreint ? On est comme enfermé. Une caméra filme vos allers et venues. Au sous-sol, l’image, la vôtre, la nôtre, ceux qui déambulent dans cette allée irréelle, est retransmise, au ralenti, sur un écran, comme si le temps ne passait pas. Une véritable torture en réalité. Big Brother n’est pas loin.

De l’art si raide, si cru, qu’on en est comme suffoqué. On doit cette installation à Abdul Rahman Katanani, un artiste palestinien vivant dans le camp de réfugiés de Sabra, près de Beyrouth, au Liban. « Camp », est visible à Paris (1), en même temps que d’autres travaux de Katanani, dont le matériau fondamental, faut-il s’en étonner de la part d’un artiste palestinien, est le fil de fer barbelé. C’est son « hard core ». Tout jeune, il n’avait que 15 ans, il s’était lancé dans la caricature. Des dessins qu’il accrochait sur les murs du camp mais qui ne plaisaient pas à tout le monde, surtout certains groupes armés qui sévissent dans les camps. Alors, il s’est rapproché d’autres matériaux, de la récupération qu’il trouvait ça et là, pour un travail sur les jeux d’enfants dans les camps. C’est là qu’il les a observés, jouant à la « corde » avec ce qui est le symbole de l’aliénation : le barbelé. « Les enfants s’en fichent, ils font jeu de tout, explique Abdul Rahman Katanani à « l’Humanité ». Donc j’ai commencé avec du fil de fer barbelé. J’en ai découvert la beauté. Si on a peur, on ne peut pas le connaître. Le barbelé c’est un peu le symbole de ce qui est en chacun de nous, qui fait barrage. C’est l’impossibilité de franchir l’espace des différences géographiques, religieuses, communautaires… ». Pour lui, « c’est une façon de rechercher et de trouver sa liberté. Si tu n’es pas libre, tu ne peux pas obtenir la liberté de la Palestine ».

Voilà donc le (la) lanceur (se) de pierres, figure découpée dans du métal, dont les cordes de la fronde sont en barbelé. Toujours lui, ou elle, qui saute en l’air comme un gamin, se jouant du tapis de barbelé, piège au sol.

Saisir l’objet pour mieux en éteindre la signification inhumaine. Quoi de mieux pour cela que de poser ces fils acérés, aux fruits de lames de rasoir, sur un morceau d’olivier, symbole de la paix autant que de la Palestine. Il a d’ailleurs essayé d’en faire venir de cette Palestine ancestrale, celle de ses grands-parents où il n’a pas le droit de mettre les pieds, mais l’autorisation n’a pas été obtenue. Merci l’occupant israélien. Il n’empêche, Katanani s’est prêté à une expérience des plus singulières : il a parasité, en forêt, des merisiers avec des champignons de barbelés. La nature a gagné ! Comme l’écrit Barbara Polla (elle-même galeriste), « l’interaction avec la matière de son choix est fondamentale pour Abdul Rahman Katanani. La matière le fait entrer, selon ses propres termes, dans l’esprit même de l’œuvre » (2).

Vivant dans le camp de Sabra, l’artiste est en perpétuelle écoute de ce qui se dit pour alimenter son œuvre. Ainsi de ses « Tornades », poétiquement angoissantes, violentes même, présentées également à la galerie Magda Danysz. « Dans le camp de Sabra, on dit toujours : « C’est comme si on vivait dans une tornade, après on ne sait pas ce qui va se passer ». Mais c’est aussi tout ce qui se passe dans la région en ce moment », insiste-t-il.

Abdul Rahman Katanani vit au quatrième étage de l’Hôpital Gaza - ça ne s’invente pas - du camp de réfugiés de Sabra. Son atelier, au fil des heures, se transforme en cuisine ou en chambre à coucher. Peu importe. « Quand je descends mes œuvres, les gens discutent », se réjouit-il.

(1) Hard Core - Solo Show. Galerie Magda Danysz. 78 rue Amelot. Paris. Jusqu’au 13 janvier 2018. Du mardi au samedi de 11H à 19H. www.magdagallery.com

(2) Citation extraite du livre-catalogue « Hard Core », disponible à la galerie.

Pierre Barbancey
Grand reporter



ACTUALITES

  • Volontaires catholiques en Palestine, ils témoignent

    « La colonisation en Palestine est un cancer qui développe quotidiennement ses métastases » : telle est la conclusion extrêmement forte de Corinne et Laurent Mérer, deux volontaires catholiques qui ont passé trois mois dans les Territoires occupés. » Au printemps 2016, Corinne et Laurent Mérer passent trois mois dans les Territoires occupés à l’appel des églises chrétiennes de Palestine. Cet ancien amiral et son épouse ne sont pas particulièrement sensibilisés à la question israélo-palestinienne. Ils vont (...)

  • Le danger de la neutralité

    Une puissante vidéo pédagogique d’Anna Baltzer (coordinatrice de la US Campaign for Palestinan Rights aux USA) sur les dangers de la neutralité.
    Partagez là avec vos proches, votre entourage, vos connaissances qui vous disent que "c’est compliqué" de prendre parti entre Israël/ Palestine.
    Elle a été sous titrée en français par l’Agence Média Palestine

  • Aïda champion du monde … de l’exposition aux gaz lacrymogènes

    Avec 6.400 résidents entassés sur moins de 7 hectares (soit l’équivalent de 90.000 habitants par km2 !), Aïda est déjà l’une des zones les plus densément peuplées de la planète. Mais l’armée d’occupation israélienne s’emploie à lui décerner une autre distinction, celle de l’emploi le plus massif de ses gaz toxiques contre une population sans défense.
    C’est ce que démontrent les Drs Rohini Haar, de l’Université de Berkeley, et Jess Ghannam, de l’Université de Californie à San Francisco, dans leur étude de (...)